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Est-il encore possible d’appliquer le régime des plus-values aux opérations de cash-out d’une société soumise à l’IS ?

Affaires - Fiscalité des entreprises
Civil - Personnes et famille/patrimoine
17/10/2024
L’administration fiscale tente depuis des années de remettre en cause l’application du régime des plus-values de valeurs mobilières, pourtant généralisé depuis le 1er janvier 2015 aux réductions de capital non motivées par des pertes par voie de rachat-annulation.
Sous la contrainte de la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 (Cons. const., 20 juin 2014, n° 2014-404 QPC), le législateur a généralisé le régime des plus-values de valeurs mobilières à l’ensemble des « sommes ou valeurs attribuées aux associés ou actionnaires au titre du rachat de leurs parts ou actions » (CGI, art. 112, 6°).

Ainsi, l’associé qui souhaite sortir des liquidités, encapsulées dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) et qui dispose de capitaux propres suffisants, a le choix entre décider d’une distribution de dividendes ou d’une réduction de capital non motivée par des pertes par voie d’annulation de ses titres sociaux. Cette dernière modalité présente souvent un avantage fiscal pour l’associé personne physique : seule est imposée la plus-value, qui procède de la différence entre le prix de cession et le prix de revient des titres, contre l’entièreté de la somme distribuée s’agissant des dividendes. Il est en outre possible, sous conditions, d’appliquer à la plus-value imposable à l’impôt sur le revenu un abattement de 500 000 € en cas de départ à la retraite du dirigeant dans les 2 ans précédant ou suivant l’opération (jusqu’au 31 décembre 2024) ou, pour les titres acquis avant 2018 en cas d’option globale pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu (IR), d’appliquer un abattement pour durée de détention de droit commun variant de 50 à 65 % ou, sous conditions, un abattement pour durée de détention renforcé allant jusqu’à 85 %. L’abattement applicable aux dividendes en cas d’option est quant à lui limité à 40 %.

Remise en cause des opérations de cash-out par abus de droit

Bien que le contribuable soit toujours libre de choisir la voie la moins imposée pour peu qu’elle ne soit pas entachée d’artificialité (BOI-CF-IOR-30-20, § 1), l’Administration tente de redresser ces opérations de cash-out en invoquant l’abus de droit.

Le Comité de l’Abus de Droit Fiscal (CADF) a déjà qualifié de « montage artificiel » une réduction de capital suivie d’une augmentation de capital de même montant ayant « eu pour effet de rétablir exactement le montant antérieur du capital social de la société », sans véritable variation de la répartition du capital (CADF, 1er oct. 2021, n° 2021-20 ; CADF, 4 févr. 2022, n° 2021-27).

Les avis favorables du Comité ne sont généralement pas suivis par l’Administration alors qu’elle doit, s’agissant de l’abus de droit fiscal pour fraude à la loi, démontrer que le contribuable a :
 
  • Recherché « le bénéfice d’une application littérale de la loi à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs ». Or, l’intention du législateur a été en 2015 de généraliser le régime des plus-values aux gains de rachat-annulation de titres ;
  • Poursuivi un but exclusivement ou principalement fiscal. Toutefois, même lorsqu’elle n’entraîne aucune modification de la géographie du capital et que les sommes distribuables sont suffisantes pour verser un dividende, l’opération de rachat-annulation des titres n’est pas constitutive d’un abus de droit selon le Comité sous réserve qu’elle reste ponctuelle et qu’elle ne s’inscrive pas dans un montage artificiel (CADF, 14 janv. 2021, n° 2020-24 et CADF, 14 janv. 2021, n° 2020-29). Plus récemment, le Comité estime qu’il n’est pas abusif de procéder à un rachat-annulation des parts sociales d’une SARL pour appréhender les réserves provenant de la cession de l’intégralité des actifs sociaux (CADF, 21 mars 2024, n° 2023-07).

Aussi le contribuable se limitera-t-il à réduire le capital de sa société qu’exceptionnellement, lorsque les circonstances de fait pourront le justifier pour des raisons autres que fiscales.

Remise en cause des opérations de cash-out en l’absence d’abus de droit

Nonobstant les avis favorables du Comité ou même lorsqu’elle ne met pas en œuvre la procédure d'abus de droit, l’administration fiscale n’hésite pas à poursuivre les contribuables pour remettre en cause l’application du régime des plus-values. C’est ce que reflète la récente décision de la Cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 16 avr. 2024, n° 22BX01822) où la rédaction ambiguë de la décision de rachat-annulation d’une société martiniquaise lui a valu un redressement.

En l’espèce, une SARL au capital social de 7 622,45 € divisé en 500 parts sociales de même valeur désirant faire sortir de son capital 5 de ses 8 associés, a décidé de réduire son capital par voie de rachat de 158 parts suivi de leur annulation immédiate. Le prix global de rachat était de 912 890 €. L’assemblée générale extraordinaire a concomitamment réduit le capital de 2 408,69 € et imputé « l'excédent du prix global de rachat sur la valeur nominale des parts sociales achetées » sur le poste autres réserves pour 910 481 €. Elle a enfin réparti ce montant aux associés retrayants en appliquant le régime des plus-values du 6° de l'article 112 du CGI.

L’Administration estime toutefois que cette répartition s’analyse en une distribution de dividendes et redresse la société du montant du prélèvement forfaitaire non-libératoire de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux.

La Cour administrative d’appel juge quant à elle que l’intégralité des sommes mises à disposition aux associés retrayants devait s’analyser en une distribution de dividendes. En conséquence, elle a appliqué a contrario les dispositions du 1° de l'article 112 du CGI qui considère comme revenus distribués aux associés les remboursements de leur apport si tous les bénéfices et les réserves autres que la réserve légale n’ont pas été auparavant répartis (ce qui n’était pas le cas en l’espèce).

En première lecture de l’arrêt, il est difficile de comprendre pourquoi la Cour considère, sur la base du 1° de l'article 112 du CGI, que la société a procédé à une distribution de dividendes sachant que le prix de rachat des titres annulés semble bien avoir été imputé sur les réserves. La réponse à cette question figurerait dans le procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire ayant décidé de cette opération. Il est étonnamment mentionné que le « paiement de la réduction de capital » est assujetti « au prélèvement forfaitaire non libératoire (…) prévu à l’article 117 Quater du CGI » en évoquant explicitement la distribution d’un « dividende ». Il apparaitrait alors cohérent que la Cour donne raison à l’administration en réfutant l’application du régime des plus-values.

Cette décision d’espèce invite par conséquent les contribuables à la plus grande prudence dans la rédaction des procès-verbaux d’assemblées générales décidant d’une réduction de capital par rachat-annulation.

Par Joris VIALE, ancien étudiant du Master 2 Droit du patrimoine professionnel (223), Université Paris Dauphine-PSL, Juriste-fiscaliste à l'UNOFI, rédigé sous la direction de Géraldine Pommery, Directeur département Entreprises Unofi 
Source : Actualités du droit